Jeudi soir, théâtre de Villeneuve-lès-Maguelone. Nous y arrivons à 19h30 précises, l’heure à laquelle doit débuter le spectacle. Un groupe de jeunes attend dans le hall pendant que d’autres personnes grillent leur ultime cigarette. Des visages nous sont familiers. Des intermittents, sans aucun doute. Nous les avons soutenus tout l’été dans leur lutte contre la nouvelle convention chômage visant à anéantir leur régime. « Nous », ce sont nos camarades de militance avec qui nous allons passer la soirée à vivre la politique par le théâtre ou l’inverse. Le spectacle ? « Marx matériau » !
Cette semaine a été la fête du capitalisme ! Nos gouvernants nous ont donné, une fois encore, une caricature grossière du reniement de gauche. Les Macron et compagnie ont le capitalisme chevillé au corps tout en portant le faux nez du socialisme. Pas de souci pour donner cash 40 milliards d’euros au patronat, laisser filer 80 milliards de fraude fiscale et de baisser les yeux devant les 20 milliards annuels de fraude des entreprises. Si nous récupérions notre dû le « trou de la sécu' » serait largement comblé et nous pourrions mettre une pelletée de milliards dans celui de l’assurance chômage, une autre pour les retraites, et même éviter de remettre en cause l’universalité des allocations familiales. Nous pourrions aussi poursuivre notre « exception culturelle française » en fournissant un régime exemplaire aux professionnels du monde artistique. Au temps malheureux de l’uniformisation des cerveaux, il est primordial de défendre une culture ouverte et accessible à toutes et tous.
La pensée de Marx libre et non faussée
Côté culture justement, la compagnie Nocturne a fait un formidable travail pour mettre en scène la pensée de Marx. « Marx Matériau / Celui qui parle c’est la tentative d’un théâtre qui livrerait abruptement un matériau de pensée libre à l’interprétation, une posture « critique » plutôt qu’une pensée prête à l’emploi », explique Jacques Allaire, le metteur en scène. Une mise en scène intimiste où le public se trouve au cœur même de l’action assis le long des murs du décor : un salon où trône un globe imposant et où sont disséminés des œuvres du philosophe allemand.
Valeur d’échange, valeur d’usage, le profit, l’aliénation au travail, pendant une heure trente le comédien Luc Sabot livre un cours d’économie théâtral où les textes d’époque sont d’une actualité brûlante. Que ce soit au XIXème ou au XXIème siècle, le capitalisme se réchauffe toujours du brasier de la masse des salarié-es. « Marx se penche sur l’Humanité et raconte le monde de l’Homme. Il s’applique à produire une pensée libre », écrit le comédien. Cette pièce est, en quelque sorte, une séance de Marx en 3D où à chaque instant le spectateur est bousculé et interpellé. Sans conteste, chacun et chacune doit faire vivre cette oeuvre pour que la pensée de Marx libre et non faussée soit présentée dans son plus simple appareil, sans aucune récupération idéologique. Faisons donc vivre « Marx matériau » !
Du conquistador au patron du CAC 40
Quelques jours auparavant, le capitalisme se faisait série TV sur Arté. La chaîne franco-allemande propose effectivement son histoire en six épisodes. Les deux premiers se sont intéressés à son origine avec la pensée d’Adam Smith et sa « main invisible du marché », une mystification moyen-âgeuse cachant les ressorts du phénomène d’exploitation de l’homme par l’homme. Ainsi, Smith affirme qu’il y a « un ordre naturel de l’économie » comme si c’était une science qui ne peut souffrir d’aucune contradiction. ça ne vous rappelle rien ? L’austérité imposée, les salaires contraints, les conquis sociaux remis en cause : le « there is no alternative » de Thatcher seriné par les politiques et leurs chiens de garde médiatiques.
Le capitalisme comme ordre naturel des choses ? Le documentaire d’Arté est éloquent sur le sujet. « Le conquistador est l’archétype de l’entrepreneur », explique un économiste. Et nous apprenons que l’étendue de l’économie de marché est intimement liée à la colonisation ou encore que « l’esclavage est au service du développement du capitalisme » avant qu’un autre intervenant conclut : « ce qui est passé sous silence dans les richesses des nations, c’est l’esclavage. »
L’esclavage abolit, le capitalisme s’adapte : « comment créer un marché déconnecté de la société ? Faire une somme de lois de terreur qui créé des humains qu’on peut acheter et vendre. » Mendiants, sans emploi, en clair, les pauvres sont criminalisés. Là aussi, l’actualité est ardente. Et pour que le capitalisme se développe, c’est dans les têtes que les capitalistes vont gagner, on appelle ça aussi le « temps de cerveau disponible ». Et là, le capitalisme ment opportunément avec « la doctrine de l’intérêt personnel, doctrine vendue comme fait scientifique. » Et d’enlever la morale a toute chose car le monde d’Adam Smith, c’est « le règne des chiffres dont on a enlevé toute considération morale. »
La planète Marx est rouge et verte
Point de morale donc dans le capitalisme : l’homme exploite l’homme… mais pas que. La pensée de Marx s’est, au fil de l’histoire, focalisée sur l’exploitation humaine négligeant l’exploitation de la Nature. Certes, si la planète Marx est rouge, elle est tout aussi verte. Un livre, « Marx écologiste »* de l’américain John Bellamy Foster, rend compte de la conscience écologiste de l’auteur du Capital. Forages offshore, marchandisation de l’eau, exploitation des gaz de schiste, etc. le capitalisme est sans pitié envers la nature, quelqu’en soit les conséquences.
Plus fort encore, le système récupère tout ! Ainsi, le droit à polluer s’échange sur les marchés financiers au prix indicatif de la tonne de CO2. Du profit, des plus-value, de l’argent fait jusque sur le dos de la pollution. Et à grand renfort de communication, on repeint tout en vert pour faire des éco-quartiers, être un éco-citoyen modèle même si on conduit un 4×4, payer des éco-taxe, etc.
Que ce soit pour l’homme ou la nature, le capitalisme est prédateur. Marx l’a donc analysé sur les deux aspects. Déjà l’alliance du rouge et du vert, les bases de l’écosocialisme sont jetées. Le principe de base de cette doctrine est qu’il y a un seul écosystème compatible avec la vie humaine et qu’il faut le préserver en ne prenant pas plus à la terre qu’elle ne peut se ressourcer. Cette idée simple en apparence est primordiale et chamboule le travail militant.
Corinne Morel-Darleux du Parti de Gauche l’expliquait ainsi lors d‘un entretien à Bruxelles avec l’association culturelle Joseph Jacquemotte : « L’intérêt de l’écosocialisme est justement d’associer l’écologie et le socialisme, et de permettre à des militants, qu’ils proviennent du marxisme ou des combats pour la défense de l’environnement, de s’y retrouver. Il ne s’agit pas de doser les deux composantes pour faire plaisir aux uns et aux autres, mais d’avoir un ensemble cohérent susceptible de fédérer. Durant les nombreuses assemblées auxquelles j’ai participé, j’ai été frappée par la capacité de ce projet à unir des gens d’horizons très divers. Cette dynamique fédératrice est selon moi l’une de nos plus belles réussites politiques. »
Dans la galaxie politique, la planète Marx reste une terre de re-découverte et de reconquête idéologique. A la question : y a-t-il de l’écosocialisme sur Marx ? Les chercheurs d’un renouveau politique répondent : oui !
* Marx écologiste, de John Bellamy Foster. Éditions Amsterdam, septembre 2011, 144 pages, 12 euros