« La France, le pays qui a inventé le mot bureaucratie », raconte la voix-off du documentaire « L’ENA, miroir d’une Nation » (1). Dans ce film, nous plongeons en plein cœur de la formation de l’élite de l’Administration. Constamment comparée à une religion, nous comprenons que cette formation érige l’Etat et le Bien Public comme valeurs de « l’idéologie républicaine« . La Gestion est un dogme « au service de l’Etat administratif à la française » dont le management d’entreprise instille désormais sa logique.
Avant de reprendre une série d’articles sur l’écosocialisme, nous nous intéresserons une fois encore à l’organisation des partis politiques. Nous ne pouvons en faire l’impasse. Partout, cette organisation est pointée du doigt par les militant-es avec la sensation que le parti politique n’est plus l’outil adéquat pour répondre aux urgences sociales du pays.Trop lourde, la machinerie semble dépassée sous des tonnes de statuts régentant les moindres faits et gestes de ses militants au moment où l’instantanéité des réseaux et l’urgence sociale requiert une souplesse quotidienne. Pour ses militant-es, le parti est un peu la religion d’Etat des élèves de l’ENA.
« Quand on est con, on est con ! »
Sauf qu’un parti ne rassemble pas l’élite (en tout cas n’est pas censé) mais brasse les classes sociales et les parcours. Alors, dans un parti, les conceptions s’affrontent et la stigmatisation s’effectue. Ainsi en va-t-il de l’être humain : on personnalise, on critique, on juge plutôt que de s’attacher au fond des choses. Ces deux conceptions, nous les caricaturons ainsi : d’un côté, l’adolescent – c’est ainsi que nous avons déjà été qualifiés au sein du nôtre – caractérisé par la transition entre l’enfance et la vie adulte. De l’autre, l’apparatchik, « anciennement membre salarié à temps plein du parti communiste de l’URSS ou d’une démocratie populaire », nous apprend le Larousse qui précise la définition péjorative actuelle : « membre de l’appareil d’un parti, d’un syndicat ».
L’adolescent renvoie son aîné à son âge et ses pratiques qu’il juge d’un autre temps tandis que l’apparatchik prend de haut le juvénile renvoyant ses analyses bruyantes à un vulgaire prurit. Brassens a déjà chanté cette relation intergénérationnelle : « Le temps ne fait rien à l’affaire / Quand on est con, on est con ! / Qu’on ait 20 ans, qu’on soit grand-père / Quand on est con, on est con ! » L’important est que le mépris ne supplante pas la relation car, comme le disait Albert Camus : « Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. » « Sachants » de tous âges : gare à l’autoritarisme !
Une logique de système
C’est qu’un parti est enfermé dans « une logique de système. » Nous empruntons-là l’expression à Jean-Luc Mélenchon. Dans son livre « La règle verte », il rappelle son passage au Ministère de l’Enseignement professionnel pour expliquer son propos sur la formation des techniciens qui est un élément essentiel d’une production écologique. Il écrit : « je ne connais pas d’ouvriers qui aime produire, salement, des produits toxiques. Je n’en connais pas. Je ne connais pas d’ingénieur qui aime faire des choses qui perturbent l’écosystème. Je connais des gens, pris dans des logiques de système, qui ne peuvent s’en arracher. Et, par conséquent, si nous modifions les contenus des qualifications professionnelles, nous sommes certains que le travail sera fait, et bien fait. »
Les militant-es d’un parti politique sont aussi pris dans cette « logique de système ». Qu’ils soient adolescents ou apparatchiks, ils ont à cœur, chacun à leur façon, de porter des valeurs qui leur sont communes. Le parti tel qu’il existe aujourd’hui ne leur permet plus. En changeant les contenus, le travail militant pourrait être revu et plus efficace à un point tel… qu’il n’y aurait plus d’adolescent ni d’apparatchik !
« Indignez-vous ! »
La remise en question de l’action des partis politiques est profonde. Ainsi, elle fait l’objet d’un livre qui offre des pistes de réflexions intéressantes : « La gauche, sans le PS ? » de Claude Neuschwander (2), ancien patron des Lip, militant PS qu’on ne peut, à plus de quatre-vingts ans, soupçonner d’être adolescent, ni, à le lire, d’être apparatchik. Celui qui faisait déjà un constat amer des partis politiques, c’est Stéphane Hessel, Résistant et auteur d' »Indignez-vous ». Neuschwander rend compte de ses propos : « il avait reconnu, à nouveau, qu’il ne croyait plus guère aux partis et que l’indignation qu’il éprouvait devant leur lenteur et leur prudence l’amenait à nier que l’indignation qu’il ressentait devant l’injustice persistante et l’inégalité croissante, pût se borner au simple soutien d’un parti politique. »
Avec son livre, Neuschwander porte l’ambition de « contribuer à la réinvention d’un nouveau militantisme » qui se baserait sur un réseau social de militants. Avant d’en arriver là, il analyse le militantisme sous toutes ses formes. De la lutte emblématique des salarié-es de Lip dont il a été le patron, il en retient, entre autres : « Les bons militants sont d’abord des militants formés et donc compétents. » Les qualités de l’apparatchik ? « Les bons militants sont aussi des militants qui son complètement dans le coup ». Ici « dans le coup » est à comprendre au sens d’actif. Les qualités de l’adolescent ?
Quoiqu’il en soit, Neuschwander synthétise ainsi les apports de cette lutte : « Des salarié-es ordinaires, en grand nombre, divisés en multiples catégories ont prouvé qu’il est possible de :
– passer de l’individualisme au collectif ;
– passer de la passivité à l’action collective ;
– transformer ces salariés ordinaires en militants de la lutte collective autogérée (…) ;
– bousculer, et remettre en cause les règles de l’économie et de la politique. Pour cela, ils ont décidé de prendre des moyens, souvent illégaux, mais logiques, populaires et sans violence. »
L’intelligence collective est ainsi la matrice indispensable à la sortie par le haut de problématiques collectives. Les partis ne devraient pas le perdre de vue.
L’antidote ? La Démocratiiiiiie !
Le constat sur les partis politique est sévère. C’est légitime. Mais leur propension à ne pas changer les choses n’est pas une fatalité. C’est que coulent dans leurs veines organisationnelles ce que Neuschwander appelle « les poisons du militantisme. » « Ils sont nombreux », pointe-t-il. « Ils découlent naturellement des défauts de la nature humaine, en particulier de l’égocentrisme, de l’ambition ou de la vanité ; leur meilleur antidote est le travail en équipe, où le poids du collectif est, souvent, le bon moyen d’amener chacun à se bonifier. »
Carriérisme, irresponsabilité, autoritarisme et insuffisance de moyens de fonctionnements sont les poisons passés au crible de l’ex-patron des Lip. Pour l’autoritarisme, « la démocratie réelle est l’antidote le plus efficace à ce dysfonctionnement fréquent », écrit-il. « Car la démocratie a du mal à passer du stade de l’évidence conceptuelle à celui de mode naturel de fonctionnement. » Pour Neuschwander, « il faut apprendre à faciliter l’usage de la démocratie tout le temps et partout. »
Un parti politique doit donc revoir son fonctionnement de fond en comble pour éviter la fracture entre une élite et une base militante. Ce serait un début car, poursuit Neuschwander, « l’apprentissage de la démocratie, préalable à son exercice, prend du temps et coûte des efforts. » Et cela, qu’on soit adolescent ou apparatchik.
1- « L’ENA. Miroir d’une Nation ». Un film de Gérald Caillat sur un texte de Pierre Legendre.
2- « La gauche, sans le PS ? » de Claude Neuschwander – Edition Le Publieur.