Dans ce contexte, aucun programme n’apparaît encore clairement. Les candidats sortis du bois se félicitant ici ou là de leurs accords et se contentant de balancer des banalités à la presse. Il est à parier que les idées ne seront pas au cœur de cette courte campagne qui promet d’être soporifique. Les enjeux sont pourtant de taille pour une institution, le « département », qui est aujourd’hui en danger. Pas de roses sans épines ! décide de mettre en débat des éléments qui, à notre avis, devrait faire partie des programmes. Mais avant d’aborder le fond, faisons un petit rappel historique et l’état des lieux actuel d’une énième réforme territoriale.
1789-2015 : des candidats amnésiques
Nos chers candidats aux élections départementales se rappellent-ils d’où viennent les premiers conseils généraux ? Les descendants de la Révolution française de 1789 en ont oublié depuis bien longtemps les idéaux. Ainsi, en 1790, le territoire français va évolué dans son aménagement. Désormais le peuple est au cœur de la vie politique. Leurs représentants à « l’Assemblée constituante découpe(nt) le territoire français en 83 départements organisés autour de chefs-lieux. Leur administration est confiée à un conseil général dont les membres sont des notables désignés par le pouvoir central », rappelle l’Assemblée des départements de France (ADF).
Il faudra attendre la Deuxième République le 3 juillet 1848 pour que les conseillers généraux soient élus au suffrage universel, « à raison d’un élu par canton ». Le 10 août 1871, le département est une collectivité territoriale à part entière et « le conseil général reçoit une compétence globale pour régler les affaires d’intérêt départemental. » Les conseillers sont élus pour six ans et le conseil général est renouvelé pour moitié tous les trois ans. Si un président est élu, « le préfet détient toujours le pouvoir exécutif départemental. »
Décentralisation : la République morcelée
La République une et indivisible va lâcher du lest dans sa gestion territoriale. La loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions lance l’Acte I de la décentralisation regroupé dans les « lois Deferre » du nom du Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation de l’époque. Ces lois sont une bonne chose pour un territoire national jusqu’alors hyper-centralisé. L’Acte I « remplace la tutelle pesant sur les collectivités territoriales par un contrôle a posteriori confié au juge administratif, transfère la fonction exécutive départementale et régionale aux présidents de conseil général et régional, et transforme les régions en collectivités territoriales de plein exercice », rappelle Vie publique. Les exécutifs du conseil général et de la région sont confiés à leur président et non plus au préfet désigné par l’État. En termes de transfert de compétences, le conseil général récupère l’action sociale, les ports de commerce et de pêche, les transports scolaires et la gestion des collèges. Pour compenser, l’État fournit des dotations globales de fonctionnement, d’équipement et de décentralisation.
En 2003, le gouvernement lance l’Acte II de la décentralisation. Il passe par une révision constitutionnelle le 28 mars 2003 qui concerne « l’organisation décentralisée de la République » qui étend les responsabilités des collectivités écrit Vie publique. Cette loi renforce l’autonomie financière des collectivités et élargit la démocratie locale. Elles ont ainsi le droit « d’organiser des référendums décisionnels et droit de pétition pour les électeurs ». Un droit qui n’a pas été usé massivement jusqu’ici, au département ou ailleurs. Quel candidat va clairement s’engager sur ce point aux départementales ? Les vrais démocrates, levez la main ! Pour cet Acte II, le conseil général acquiert la gestion totale du revenu minimum d’insertion (RMI) qui devient le revenu de solidarité active (RSA) le 1er juin 2009. La collectivité se voit aussi confier la protection de l’enfance et l’accompagnement des personnes handicapées.
Si les transferts de compétences sont légions, l’État coupe le robinet à dotations : moins 11 milliards d’euros entre 2015 et 2017 ! L’austérité va très vite s’imposer au conseil général pour qui, comme toutes les collectivités locales, le budget se doit d’être à l’équilibre. Dans ce contexte, le président de la République lance l’Acte III de la décentralisation le 5 octobre 2012. Et c’est une véritable révolution territoriale qui s’engage alors à la demande de Bruxelles qui veut simplifier « le millefeuille » territorial français. Alors que le principe acquis de la Révolution française est le triptyque « commune, département, État », on se plie à l’exigence européenne qui favorise le schéma « région, État, Europe ».
La France sacrifie donc ses acquis démocratiques au profit d’exigences purement comptables en éloignant les lieux de décisions de ses citoyens. La modernisation de l’action publique territoriale et affirmation des métropoles (MAPTAM) voit le jour. Un nouveau millefeuille se met en place avec la métropole, véritable féodalisation de notre vie démocratique. La commune y est vidée de sa substance et le conseil général, rebaptisé conseil départemental, perd un bon paquet de compétences. Un débat sur sa suppression pure et simple en 2021 a même eu lieu.
Le problème de cet Acte III est qu’il met la charrue avant les bœufs : la répartition des compétences entre le conseil départemental et la métropole reste encore flou. Mais les problèmes posés sont très concrets à l’image du rond-point de Vendargues. Ainsi, le maire de la commune « dénonce « l’abandon du projet de giratoire entre la RD610 et la RD613″, un carrefour accidentogène sur la façade ouest du village, qui permet, entre autres, d’accéder à la zone du Salaison », écrit Midi-Libre. Si la compétence était alors dans les mains du département, avec la réforme territoriale, son président André Vezinhet estime que le projet est du ressort de la métropole. C’est aussi une façon de mettre des bâtons dans les roues de Saurel, le maire de Montpellier, et ainsi démontrer que sa concentration de pouvoir n’est pas efficiente sur le terrain. Dans cette guerre des barons, le peuple est sûr de passer au second plan. Quoiqu’il en soit, pris en étau entre deux mastodontes que sont les régions et les métropoles, le département voit son espace vital rétrécir à vue d’œil.
Nouveau scrutin, mêmes combines
Les 22 et 29 mars prochains, les électeurs de l’Hérault sont appelés aux urnes pour élire leurs cinquante conseillers départementaux. Le conseil général laisse effectivement la place au conseil départemental qui sera composé à parité. Le scrutin est ainsi modifié. Les cantons réduits de moitié (de 49 à 25) accueillent des binômes paritaires ayant un binôme suppléant aussi composé d’un homme et d’une femme. Au 30 mars au matin, l’assemblée départementale comptera ainsi 25 femmes et 25 hommes contre 7 femmes et 42 hommes actuellement.
Le mandat des élus est de six ans pleins, la nouvelle loi ayant supprimée le renouvellement par moitié au bout de trois ans. La majorité absolue est acquise au premier tour si le binôme recueille plus de 50% des exprimés et 25% des inscrits. Les deux binômes arrivés en tête peuvent prétendre au second tour. Pour les autres, il faut avoir recueilli au moins 12,5% des inscrits pour se maintenir. Quoiqu’il en soit, il n’y aura pas de fusion, les binômes du second tour devant impérativement être les mêmes que présenter au premier tour.
Une élection pour les militants
Si on analyse cette élection départementale à l’aune des précédentes élections, il est à parier que tout à chacun peut déjà projeter les résultats. Ainsi, au vue de l’abstention massive qui se renforce au fil des scrutins (47% pour les élections municipales de Montpellier !) et du vote blanc, les départementales de mars auront un petit air d’élection sénatoriale. En effet, les candidats ne peuvent compter que sur leurs propres forces militantes pour s’assurer d’avoir des bulletins à leur nom. Les militants partidaires sont en quelque sorte les grands électeurs des départementales car les plus conscientisés aux enjeux et à la lutte des places qui s’opèrent.
On peut aussi prévoir l’abstention de masse au vue du peu de mobilisation des candidats sur le terrain à un peu plus d’un mois du scrutin. Ainsi, dans l’Hérault, la gauche s’est contentée de se dispatcher les fauteuils dans une guerre intestine fratricide. Au vue de l’éclatement à gauche (atomisation du Front de gauche, alliance ratée avec les écologistes, mépris du Parti socialiste), la droite a un boulevard pour décrocher la timbale.
Plus grave, ces gué-guerres d’étiquettes, ce manque de fond politique absurde en pleine crise sociale, ce manque de personnalités représentant sincèrement l’alternative font le nid douillet d’un FN en mal de représentation démocratique. Rappelons que le parti de la haine est représenté à la région Languedoc-Roussillon, à la métropole et à la ville de Montpellier. Les démocrates bons teints, qui par leur attitude méprisante néglige le peuple, lui ouvre ainsi tout grand les portes du conseil départemental. Le soir du 29 mars 2015, il ne suffira plus de pleurnicher devant les caméras en prenant la posture de l’indignation. Les scores seront de la responsabilité pleine et entière d’une gauche qui a renié ses idéaux de 1789 et qui s’est lamentablement vautrée dans la fange politicienne.