« J’étais si heureuse de jouer dans ce festival. Mais je ne suis pas nostalgique. Je veux me battre ! », dit une lycéenne. « Y aura-t-il une suite ? oui ! », enchaîne une seconde. Le 13 mars dernier, sur une scène improvisée dans le hall d’entrée du Domaine d’Ô, acteurs de la culture et citoyens sont venus assistés à la soirée d’annulation du festival Hybrides. Les enjeux de la culture dans notre République est le thème de la soirée. Julien Bouffier, créateur du festival amputé de ses subventions par la mairie de Montpellier, a invité des artistes à prendre le micro pour débattre dans ce lieu géré par le Conseil général de l’Hérault. À elle seule, cette soirée est le symbole de l’évolution des politiques culturelles dans notre pays. À quelques jours du premier tour des élections départementales, cela prend une autre dimension.
Certains reprocheront à Bouffier, à raison, de ne pas avoir varié ses financements préférant jouer de son entremise avec un élu de l’ancienne majorité. C’est tout le paradoxe de la culture : financements publics, désengagement de l’État, renforcement du pouvoir de décisions d’élus locaux souvent peu sensibilisés aux enjeux de la création artistique. Pourtant dans notre République, plus que jamais, la culture est du ressort de la chose publique – Res publica – où le bien du peuple doit être au cœur de tout. Il en va de l’émancipation de l’homme et de la femme libre !
Austérité partout, culture nulle part !
Dans le grand remaniement territorial qui voit se rebattre la carte de France, les compétences sont brassées entre régions fusionnées, métropoles et départements mis à l’index. Les politiques culturelles se trouvent prises dans l’étau administratif sur fond d’austérité généralisée. La fronde est venue de l’Association des régions de France (ARF) qui, en plein festival d’Avignon en 2014, veut une « compétence culturelle obligatoire ». « Une initiative qui a crispé les élus départementaux et ceux du bloc communal, qui y ont vu une volonté d’hégémonie des régions », écrit La Gazette des communes.
Pour Michel Vayssié, Directeur général des services de Lille, « aujourd’hui, les politiques culturelles ne se posent plus en termes de secteurs mais de développement local, de lien social, de vivre ensemble, d’attractivité des territoires etc. Dans ce contexte-là, je ne vois pas comment nous pourrions définir une compétence culturelle obligatoire. » Pour le fonctionnaire, les choses sont simples : « S’il agit seulement de sanctuariser des crédits dans un budget, cela existe déjà, sous la forme du «1% culturel», qui oblige les collectivités à consacrer 1% des investissements pour un projet à la création artistique. »
Dans le contexte austéritaire actuel, les élus auraient-ils trouvé avec la culture leur variable d’ajustement ? Les budgets étant de plus en plus contraints, c’est la chasse aux économies dans les collectivités. « Elles coupent dans les crédits dédiés à la culture, comme elles le font pour les autres secteurs », analyse Michel Vayssié pour qui « les départements ont certes coupé dans leurs crédits culturels, mais ils l’ont fait aussi dans le champ du social. » À quelques jours du premier tour des élections départementales, on peut s’inquiéter du vide sidéral des candidats de Montpellier sur le volet culture de leur programme.
Et le fonctionnaire lillois de prévenir : « les collectivités qui cherchent la solution la plus simple en faisant de la culture une variable d’ajustements vont vite devoir s’interroger sur les conséquences de ces mesures en matière de vivre ensemble, d’attractivité du territoire, de développement économique, de création artistique, etc. ! » La culture est par nature transversale et peut constituer un formidable levier dans les suivis des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), auprès du public en situation de handicap (compétence phare du département), des personnes âgées, etc. Là encore il en va de l’émancipation des citoyen-ne-s.
– « dis papa, tu as connu le théâtre ?
– Oui, j’ai connu le théâtre !
– Et la culture ? tu vas me dire que tu as connu la culture ?
– Oui, j’ai connu la culture !
– Et la censure, tu vas me dire que tu as connu la censure ? »
Pas de réponse.
(extrait de la soirée d’annulation du festival Hybrides)
Élus incultes ?
Les acteurs de la culture ont raison d’alerter sur la situation au regard des relations qui se mettent avec les élus. « Au fil des mois, la liste des lieux culturels devenus le théâtre de conflits entre professionnels et élus s’allonge et gagne tous les secteurs culturels, cinémas municipaux et bibliothèques compris », interpelle La Gazette des communes. Pour Michel Lefeivre, président du Syndicat national des scènes publiques (SNSP), « certains élus avancent masqués : la baisse de subventions cache parfois une contestation des choix artistiques des directeurs d’équipements. » La contrainte budgétaire est aussi une aubaine pour certains. Ainsi, l’accélération des prises de décisions « conduit les élus « à vouloir tout de suite être opérateurs des politiques culturelles et intervenir plus que ne le prévoient les règles mises en place autrefois. Ce qui favorise les maladresses » », enchaîne Florian Salazar-Martin, président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC).
Le malaise entre les professionnels et les élus se révèle aussi plus profond. Ainsi, comment doit-on concevoir la culture dans notre République ? « Certains élus n’ont plus la volonté d’accompagner les habitants vers la culture et la connaissance en leur donnant les moyens de penser librement », explique à La Gazette des communes Véronique Balbo-Bonneval, présidente de la Fédération nationale des associations de directeurs des affaires culturelles (Fnadac). « La différence entre l’élitisme et ce qui est populaire, c’est ce qui n’est pas encore connu du plus grand nombre. Or le rôle des élus, c’est de faire une politique culturelle qui donne accès au plus grand nombre à ce qu’il ne connaît pas encore », poursuit-elle. Michel Lefeivre du SNSP renchérit : « Si les villes ne sont pas capables d’accompagner la prise de risque artistique, avec des programmations exigeantes et audacieuses, cela pose un réel problème sur la place de l’art et des artistes dans notre société. »
Les candidats aux départementales qui font peu de cas de la culture dans leur programme jettent un doute sur leur volonté réelle en la matière. Qu’en sera-t-il quand ils seront élus ? L’émancipation citoyenne semble ne pas être leur priorité.
« L’investissement sur la culture, c’est un investissement sur l’humain ! Aiguiser le sens critique, c’est la fonction d’un élu », prise de parole de Jean-Michel Gremillet, ancien directeur de la scène nationale de Cavaillon, à la soirée d’annulation du festival Hybrides.
Dialogue de sourds ?
L’été dernier, Montpellier a été au cœur de la lutte des intermittents. Tout est parti du Printemps des comédiens où la mobilisation massive contre le nouveau régime d’assurance chômage a ensuite fait tache d’huile dans les festivals de la France entière. Si les élus de la majorité du moment se sont fait d’une discrétion de violette, les élus d’opposition se sont bien gardés de porter haut les valeurs d’une culture à protéger coûte que coûte. Des faits qui prennent une réalité à la veille de nouvelles échéances électorales où les actes d’hier éclairent d’un jour nouveau les paroles d’aujourd’hui.
« Le monde de la culture et les élus doivent renouer le dialogue », analyse Madeleine Louarn, présidente du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), dans les colonnes de La Gazette des communes. Le Syndeac est à l’initiative de rencontres parlementaires et interrégionales pour sensibiliser les élus à la cause culturelle. Mais, là aussi, le constat est amer : « Les professionnels ont répondu présents. Pour ce qui est des élus, nous avons constaté, une fois de plus, qu’il est difficile de les mobiliser », explique la présidente du Syndeac. L’inquiétude envahit donc les rangs des professionnels au moment où « l’urgence, c’est de trouver des modalités de dialogue avec les élus. »
Les artistes ne sont pas des bouffons modernes qui n’auraient d’autres buts que d’égayer le quotidien. C’est leur place même dans la société qui est questionnée. Pour Madeleine Louarn, les choses sont claires : « Gardons, à l’esprit que les artistes ne sont pas des animateurs. On ne peut pas parler de la dimension sociale ou économique de la culture sans parler des artistes. Sinon le risque est de demander aux politiques culturelles de se substituer, par exemple, à une politique sociale défaillante. Il est impératif de donner et de garantir aux artistes les moyens de travailler. On peut, ensuite, ou en même temps, demander que la culture soit partout et auprès de tous les publics. »
Dans l’Hérault, les professionnels de la culture ont de quoi être inquiets. Ainsi, selon la « cartocrise » appelée ‘Culture française, tu te meurs », plus de cent quarante festivals, structures et associations supprimés ou annulés sont recensés dont sept rien que dans notre département ! À la soirée d’annulation d’Hybrides, Jean-Marc Adolphe, journaliste et directeur de projets artistiques et culturels a posé les choses : « au-delà des mots, c’est la question du pognon. Tous les élus de droite et de gauche disent que la culture c’est important mais le budget annuel de l’éducation artistique équivaut au budget de six kilomètres d’autoroute ! Ce sont les faits ! » Un représentant du collectif toulousain Mix’art Myrys enchaîne : « Faut pas lâcher la notion de service public de la culture ! Il y a de soixante à quatre-vingts milliards d’euros d’évasion fiscale : il faut qu’on les ait ! »
Mais les autorités publiques restent de marbre. Ainsi, ce 18 mars, les acteurs de la culture de Montpellier sont allés à la rencontre du préfet. Alors que ce dernier était en réunion avec le directeur de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac), la délégation a été reçue par un subordonné. Un mépris qui en dit long. Faisant référence aux élections départementales, Jean-Marc Adolphe prédisait : « l’affront national a déjà gagné ». Jusqu’à maintenant, les faits lui donnent raison. Petit à petit, notre culture se meurt.