Les intermittents et précaires résistent à la pauvreté organisée !

Toute personne ayant dorénavant affaire à Pôle-Emploi doit s’armer de connaissances approfondies sur les méandres de l’indemnisation chômage. Ainsi, chômeurs, intermittents et autres tâcherons enchaînant les contrats précaires se voient emprunter un parcours du combattant pour toucher des indemnités pourtant légitimes. Face à la nouvelle convention Unedic organisant la pauvreté généralisée, la Coordination des intermittents et précaires (CIP), réunie ce week-end à Bordeaux, a mis en place une commission juridique pour leur venir en aide. En Languedoc-Roussillon, des militant-e-s prennent en charge les dossiers pour mener la bataille de l’accès aux droits.

thumb_Fcbk-7_1024Claire Engel est comédienne et metteur en scène. À ce titre, elle est intermittente, un régime crée en 1936. À l’époque, le régime concernait les techniciens et cadres du cinéma. Depuis, il a été élargi à l’ensemble des champs artistiques. Le régime intermittent assure aux artistes et techniciens un revenu pendant les périodes où ils ne travaillent pas, leur activité étant par nature fluctuante. Pôle-Emploi s’occupe de leur indemnisation. Et si Claire est devenue une spécialiste des conventions Pôle-Emploi, c’est qu’elle milite à la Coordination des intermittents et précaires du Languedoc-Roussillon (CIP-LR). Elle est en charge des dossiers de celles et ceux qui se retrouvent plongé-e-s dans la précarité par le service public de l’emploi. Parmi eux figurent de nombreux intermittents.

Gouvernement inculte

« L’exception culturelle française repose sur l’intermittence. Sans l’intermittence, on ne peut pas proposer autant d’offre culturelle », explique Claire qui a vu les choses se dégrader à mesure que les conventions Unedic s’enchaînaient. « Depuis 2003, on doit recharger nos droits sur dix mois et demi. On travaille trois fois plus, tout le monde le sait ! Alors que notre travail c’est de penser, on a plus le temps ! », assure-t-elle. Et ne venez pas lui dire que ce régime est un avantage pour bobos cultureux. : « Les intermittents viennent d’ailleurs et n’ont pas choisi un régime mais un métier. Par exemple, un chef électricien théâtre est la clé maîtresse d’un festival. De mars à septembre, il travaille tout le temps mais dans l’année, il travaille peu pour des compagnies et il devient polyvalent. Pour un acteur, le mois de mai représente la fin de saison théâtrale. Ce n’est pas avec les festivals qu’il fait son année. Tout ça pour dire que l’intermittence est un système qui fonctionne très bien. »

Culture5

Avec les autres précaires du travail, les intermittents sont devenus la cible du gouvernement et leur quotidien s’est considérablement dégradé. Il y a un an tout juste, la mobilisation contre le nouvel accord d’assurance chômage prenait corps au Printemps des Comédiens qui débute cette année sous de meilleurs auspices. Mais ce que prévoyaient à l’époque les intermittents en lutte s’est produit. « Nous ne voulons pas d’une œuvre de charité pour nos « pauvres » », expliquaient-ils l’année dernière dans un communiqué. Aujourd’hui, les « pauvres » sont légion ne pouvant plus vivre de leur métier artistique. D’ailleurs, dans la brasserie montpelliéraine où nous rencontrons Claire, deux intermittents assurent le service.

L’accord(e) du pauvre

Qu’institue donc ce dernier accord d’assurance chômage ? « Les droits rechargeables, une belle avancée pour les demandeurs d’emploi », fanfaronne le Ministère du Travail le 6 octobre 2014, date du lancement de la nouvelle mouture de l’accord. La propagande officielle poursuit ainsi :« Quand un chômeur arrivera en fin de droits, Pôle Emploi examinera le nombre de jours travaillés (et non-indemnisés) pendant cette période de chômage et rechargera d’autant ses droits à indemnisation. Le but : inciter à la reprise d’un travail, même de courte durée. »

Si sur le papier tout paraît idyllique, dans la réalité c’est le pugilat social ! D’abord, sur la mise en place de l’accord par les équipes de Pôle Emploi : « C’est incompréhensible ! », s’insurge Claire. « Nul n’est censé ignorer la loi mais c’est aux administrations de faire le nécessaire pour que les textes soient clairs. Et Pôle-Emploi est extrêmement crypté. La circulaire de l’Unedic sert aux agents pour mettre en place la loi. Mais des bureaux de l’Unedic jusqu’aux agents Pôle-Emploi sur le terrain, il y a beaucoup d’intermédiaires. D’une région à une autre et d’une agence à une autre, il n’y a pas les mêmes directives », assure-t-elle.

Et les effets de ces nouveaux droits sont dévastateurs comme le dévoile L’Express s’appuyant sur une note interne de l’Unedic : « Les « droits rechargeables », entrés en vigueur au 1er octobre (2014, ndlr), lèsent 30 000 chômeurs par an, qui touchent temporairement une indemnité inférieure à celle qu’ils auraient touchée sous l’ancien régime ». Les 30 000 personnes concernées ont eu, en moyenne, un manque à gagner de 500€ par mois !

Les nouveaux droits inépuisables

« Ces « droits rechargeables » auraient clairement pu être classés dans la catégorie des avancées sociales… du moins jusqu’à leur application », écrit Basta Mag qui s’est longuement penché sur le sujet. Effectivement, l’entourloupe réside dans le fait que les chômeurs doivent consommer leurs droits avant d’en ouvrir de nouveaux. Ainsi Claire livre un exemple concret pour un chômeur relevant du régime général. « Avant, en cas de licenciement, tu avais droit à deux IMG_5354_1024ans de chômage basé sur un pourcentage de ce que tu as gagné. Puis, en fin de droit au chômage, il y avait les A.S.S. (Allocation de solidarité spécifique) ». En cas de chômage avec indemnités et si la personne retravaillait sans épuiser ses droits, si le taux journalier était supérieur à l’allocation, le droit se décalait dans le temps.

Dorénavant, avec les droits rechargeables, les contrats précaires sont pénalisés. Comme l’explique Claire qui est devenue une experte en indemnisation : « Par exemple, en cas de mi-temps avec un contrat de 20h à 750€, en fin de contrat il y a un droit à 57% du temps travaillé, soit à peu près 550€ par mois (15€ par jour). Si, dans ce cas-là, tu travailles pour un salaire de 1 200€, au moment de reprendre tes droits, tu dois épuiser tes droits d’avant (ceux du mi-temps) avant d’ouvrir ceux du plein temps. » Pour Claire et l’équipe de la CIP-LR, il est clair que ces nouveaux droits sont finalement « des droits inépuisables »« En cas de droits épuisés, l’ordinateur remonte en arrière et si il trouve 150 heures consécutives, il rouvre les droits. Si tu ne bosses pas continuellement, tu ne peux pas rouvrir de droits corrects », poursuit Claire. « Payer le reliquat des anciens droits avant les plus récents évite de payer les allocations les plus importantes d’abord… que les chômeurs ne percevront peut-être jamais s’ils retrouvent rapidement un emploi », résume Basta Mag.

Droit d’option, piège à c… !

Dans sa besace sociale, l’Unedic a fourré d’autres outils empêchant les personnes d’avoir accès à leurs droits. Du côté des intermittents, la bascule vers le régime général est généralisée. « Si tu n’arrives pas à faire les 507 heures mais que tu as, par exemple, travaillé pour l’Éducation nationale pendant 122 jours soit 4 mois à 4 heures hebdomadaires (164 heures), tu bascules sur le régime général sur la base du régime intermittent et du régime général », poursuit notre experte intermittente. « Ce n’est alors plus le même calcul et c’est sur une période de deux ans. Sur une base de 80€ la journée – soit le Smic) – si tu as des allocations à 25€ par jour, on t’enlève la différence. Et tu n’as plus le droit de rouvrir aux annexes si le régime général n’est pas épuisé. »

IMG_5399_1024La boucle est alors bouclée : les intermittents sont renvoyés au régime général pendant que le régime intermittent meurt à petits feux. Et les concernés se retrouvent pris dans le maelstrom de la précarité ! « Ça a été la catastrophe que nous avions annoncée ! Ceux qui n’ont pas leurs heures ont basculé au régime général. C’est une manœuvre pour écrémer les intermittents », insiste Claire. Devant des rangs entiers d’intermittents se retrouvant avec des droits à minima, l’Unedic met en place le 25 mars 2015 le droit d’option. « Le chômeur avait 21 jours pour choisir entre le régime intermittent et le régime général », raconte Claire. « Et, les gens choisissent le plus intéressant sur le moment, les indemnités pouvant passés de 7€ par jour à 35€ par jour selon le choix. Même si dans le temps ils y perdent, ils peuvent au moins vivre sur le moment. » Avec le droit d’option se cache aussi un mauvais tour. « Ces personnes auront ainsi un droit plus fort, mais moins longtemps », explique à Basta Mag Stéphane Lardy, secrétaire confédéral emploi, Unédic et formation professionnelle de FO. Pierre Cavard qui est directeur des études et analyses de l’Unédic renchérit même : « Tout le monde n’a pas intérêt à recourir au droit d’option, notamment ceux qui craignent de rester longtemps au chômage. »

Résistance pour tous !

Face à ce mur de l’administration qui complexifie à loisirs pour ne pas avoir accès aux droits, Pôle-Emploi se fait même plus violent. Ainsi, « ils cherchent des poux dans la tête des intermittents », assure Claire. Les méthodes ? Un harcèlement organisé par téléphone où les agents se font très insistants et ne divulguent pas l’ensemble des informations permettant aux personnes concernées une connaissance satisfaisante de la situation. D’ailleurs, Pôle-Emploi généralise la méthode en embauchant « 200 conseillers Pôle Emploi pour fliquer les chômeurs », titre L’Humanité.

Réunis ce week-end à Bordeaux pour une réunion nationale, les militants de l’ensemble des Coordinations d’intermittents et précaires de France gardent leur mot d’ordre de l’été dernier : « Ce que nous réclamons, nous le réclamons pour tous. » Et au-delà de la contestation ils font des propositions claires : « Le rêve du plein-emploi, c’est fini. Aujourd’hui, il faut un seul principe d’indemnités pour les gens en CDI, et un seul principe pour l’ensemble des CDD et précaires », expliquent-ils dans les colonnes de Sud-Ouest. La coordination nationale a d’ailleurs élaboré « un nouveau modèle », concentrant l’ensemble de leurs revendications émanant de la réalité de terrain.

 

L’enjeu de l’indemnisation des intermittents et des précaires concerne donc l’ensemble des travailleurs qui enchaînent les CDD à la pelle. Cela pose aussi clairement la place de l’offre culturelle et de sa qualité dans notre pays. En pleine cure d’austérité, la culture pour tous ne semble pas être la priorité de nos gouvernants. Elle est attaquée de toute part et reste en grand danger notamment avec le traité transatlantique (TAFTA) en cours de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis. Alors, la culture, à quoi ça sert ? José Marti, poète cubain, l’a déjà écrit : « Ser culto para ser libre », « être cultivé pour être libre ». Rien que ça.

 

Pour contacter la Coordination des intermittents et précaires de Languedoc-Roussillon :

Courriel : ciplr@yahoo.fr / Facebook / Twitter / Site web

Pour les personnes en emploi discontinu ayant des problèmes autour des droits rechargeables et droit d’option : catadroitsrechargeablesetc@jurikic.com

Pour les personnes du ressort du Régime général (litiges et recours avec Pôle Emploi) : www.recours-radiation.fr

 

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