Liberté, égalité, fraternité, … fiché ! Ainsi pourrait être complété le triptyque républicain après le vote du projet de loi relatif au renseignement. Les députés ont voté à la majorité le fichage et la surveillance généralisée des Français. Dans l’Hérault, un seul député a voté contre, l’écologiste Jean-Louis Roumégas. Vendredi dernier, aux côtés du magistrat Gilles Sainati du Syndicat de la magistrature, il était invité par l’association Soutien à la vie publique à Clermont-l’Hérault. Tous deux ont expliqué les dangers de cette loi liberticide.
Nous l’avons tous appris à l’école : la véritable démocratie n’est possible que si la séparation de ses trois piliers sont respectés. À savoir, le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Après le vote de la loi renseignement qui confie tout pouvoir en la matière dans les mains du Premier ministre, la démocratie se retrouve dans le viseur du gouvernement. Le grand délire de J. Edgar Hoover, premier directeur du FBI, qui voulait ficher l’ensemble de la population américaine peut aujourd’hui devenir une réalité en France.
Une trentaine de personnes s’est déplacée ce vendredi soir à la salle Georges Brassens de Clermont-l’Hérault pour participer au débat : « Après la loi sur le renseignement, comment écrire le mot liberté ? » Gilles Sainati, magistrat membre du Syndicat de la magistrature, et Jean-Louis Roumegas, député Europe Écologie-Les Verts (EELV) de la première circonscription de l’Hérault, ont expliqué en détails les conséquences d’une loi qui va instituer notre liberté surveillée.
Le régime du tous suspects !
Pour le député Roumegas, « ce texte est pris sous le coup de l’émotion (après les attentats du 11 janvier dernier contre Charlie Hebdo, ndlr) mais qui a une portée beaucoup plus large que le terrorisme. C’est un Patriot Act à la française », affirme-t-il. Sergio Coronado a mené la bataille à l’Assemblée nationale au nom du groupe écologiste pour dénoncer toutes les dérives que portent cette loi « et on va en découvrir tout le mal dans les prochaines années », assure Roumegas.
Le texte a sept finalités : la sécurité nationale ; les intérêts essentiels de la politique étrangère et l’exécution des engagements européens et internationaux de la France ; les intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France ; la prévention du terrorisme ; la prévention de la reconstitution ou du maintien de groupement dissous en application de l’article L. 212-1 ; la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ; la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique. « Cette loi ne concerne donc pas seulement le terrorisme ! », conclut le député. Et c’est bien là que le bât blesse : le terrorisme n’est que le Cheval de Troie de l’instauration d’un régime nouveau, celui du tous suspects !
Commission en carton
Certes, le gouvernement affuble le texte d’une « Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement » qui est « une autorité administrative indépendante. » Elle est composée de neuf membres : deux députés, deux sénateurs, deux membres ou anciens membres du Conseil d’État, deux magistrats ou anciens magistrats et une personnalité qualifiée pour sa connaissance en matière de communications électroniques.
Mais le député écolo’ rappelle que « la commission ne pourra pas juger sur la proportionnalité mais seulement donner un avis. C’est le Premier ministre qui a le pouvoir de déclencher une surveillance et si l’avis de la commission nationale n’est pas conforme, il peut passer outre. » Pire : « en cas d’urgence, ce qui reste une notion floue dans le texte, le Premier ministre n’a pas besoin de demander l’avis de la commission. » Et pour ce qui est des professions censées être officiellement protégées par cette loi (parlementaires, magistrats, avocats, journalistes), la commission doit donner un avis favorable en cas de surveillance. À moins que, selon le Premier ministre, ce soit un cas d’urgence.
Go-go gadget la surveillance généralisée !
La panoplie des inspecteurs Gadget du renseignement français a de quoi faire pâlir James Bond, tant leur attirail semble sans fin : collecte des données de connexion, des données techniques sur les réseaux sociaux, des algorithmes filtrant les données sur le net par mot-clé et message, légalisation de procédés jusqu’ici illégaux comme un capteur permettant d’écouter toutes les conversations dans une zone donnée, balise de géolocalisation, écoutes téléphoniques. « Ils pourront placés des dispositifs dans des lieux privés et toute donnée venant de l’étranger est considérée comme surveillable sans avis », poursuit Roumegas. Avec Internet où nos données de connexion transitent par des serveurs de part le monde, tout vient de l’étranger et donc tout peut être surveillé ! Pour ce qui concerne la conservation des données récoltées par les agents, elles sont allongées. Ainsi, « la conservation passe de 10 à 30 jours », explique Jean-Louis Roumegas. Pour les données informatiques, le délai passe de 30 à 90 jours et les données de connexion pourront être conservées cinq ans !
Et aucune dérive ne sera possible pour ces super-agents puisqu’ils seront protégés pénalement. « Il y a une impunité totalement consacrée par ce texte », explique le député de l’Hérault qui conclu : « Il y a eu une procédure accélérée avec un temps de débat extrêmement court alors qu’on avait besoin de débat avec les citoyens et les professionnels. Il y a aussi un contrôle très fragile et le recours possible en conseil d’État reste virtuel. »
STIC, ADN : fichage à tous les étages
De son côté, Gilles Sainati, ancien secrétaire général du Syndicat de la magistrature, a remis la logique de la loi renseignement dans une perspective historique comme il l’avait déjà écrit sur son blog Médiapart. « Ce texte, au vu de sa complexité, s’inscrit dans un long terme avec la mise en place d’un fichage généralisé, la création de lieux secret-défense avec impossibilité d’investiguer et un contournement total du judiciaire », analyse-t-il. « Il existe une fascination technologique où on pense régler le terrorisme par la massification de la surveillance », poursuit le magistrat avant de rappeler qu’ « en France, le fichage existe. Il y a le casier judiciaire avec trois volets en fonction du droit à l’oubli pour que les personnes puissent se réinsérer. Dans les années 1980, il y a eu la création d’un fichier de police qui a été généralisé en 1995 par Sarkozy avec le STIC qui est devenu le TAJ. »
L’originalité de ces fichiers est que toute les personnes mises en cause dans une procédure, y compris les témoins, se voient automatiquement fichés ! « On a plusieurs millions de personnes fichées », constate Sainati qui rappelle que « d’après la CNIL, il existe 25% d’erreur dans ce fichier. » Et le problème avec ces fichiers, « c’est qu’ils ne sont pas contrôlés par l’autorité judiciaire. Le STIC est la première indication de la fascination technologique sans réfléchir à l’efficacité et à la liberté publique. »
Avec l’avancée scientifique, le fichage a varié ses outils. Ainsi, le fichage ADN s’est généralisé : « c’est légal pour l’intégralité des infractions pénales ! », insiste Gilles Sainati. Le milieu syndical est d’ailleurs particulièrement touché par cette mesure. Le projet de loi renseignement est donc comme la cerise sur le gâteau du renseignement français : « elle couronne tout ça ! », résume-t-il. Les citoyens se retrouvent emportés dans une logique particulière car « on a mis en place des pratiques utilisée pour le grand banditisme à destination de la police judiciaire. Mais là on est en dehors de tout cadre judiciaire. Il y a un vrai glissement. »
Démocratie restreinte
Pour Gilles Sainati, cette logique est plus qu’inquiétante : « C’est un changement de paradigme. On a confié à ces services des pouvoirs exorbitants sans aucun contrôle. » Rappelant qu’avant Sarkozy il y avait les services des renseignements généraux (RG) gérés à l’échelon départementale, le magistrat rappelle que « les RG ont été intégrés dans les services de sécurité intérieure et sont confondus avec le contre-espionnage. On a donc changé leur culture. L’idée de Sarko était de créer un service comme la NSA sous l’autorité de l’exécutif. Dorénavant, renseignement, contrespionnage et police se mélangent. »
Avec ce texte de loi sur le renseignement, les dérives sont évidentes surtout pour les citoyen-ne-s qui s’opposeront à l’État. Gilles Sainati donne un exemple concret avec les anti-gaz de schiste : « Si le gouvernement est pour, les anti pourront être surveillés car ils sont contre l’intérêt économique de la nation. Il faut bien comprendre que cette loi rentre dans un contexte général et ne répond pas aux dangers terroristes. Mais elle ouvre la possibilité à un gouvernement d’appliquer la démocratie restreinte. »
La France vient donc de passer un cap dans la restriction des libertés publiques en instaurant la surveillance de masse. La République du fichage est légalement engagée. « Et par le pouvoir d’un mot /Je recommence ma vie / Je suis né pour te connaître / Pour te nommer / Liberté », écrivait Paul Éluard. Considéré comme le poète de la Résistance, son poème « Liberté » a été parachuté par avions à des milliers d’exemplaires dans toute la France pendant la Seconde guerre mondiale. Soixante-dix ans plus tard, il serait bon de le diffuser massivement dans les maquis de la République.
Attention les journalistes qui piquent ! Vous êtes dorénavant sous haute surveillance par la « stasi » à la française…
J’aimeJ’aime
Bonsoir,
Pour info, ce petit texte que j’avais écrit; mon député – qui est aussi « président » du département – n’a pas vraiment apprécié… Merci pour votre article !
https://www.ensemble-fdg.org/content/mon-depute-et-la-loi-relative-au-renseignement
J’aimeJ’aime