Inondations à Montpellier : Lez béton !

Ce dimanche 23 août 2015, Montpellier a connu un nouvel épisode d’inondations suite à des pluies diluviennes. Un bis repetita des intempéries de septembre 2014. Cette année, le bilan n’est pas que matériel, un couple d’octogénaires ayant trouvé la mort piégés dans leur voiture qui a été emportée par les flots. Cette répétition d’événements n’en fait plus un phénomène exceptionnel. D’ailleurs, leur récurrence est à prévoir. Les élus locaux n’ont pas l’air de prendre la mesure des choses préférant le béton aux zones humides. Pourtant, depuis quelques années, les services de l’État ont produit  une profusion de mise en garde.« Montpellier devient Venise-sur-Lez » titrait L’Humanité en octobre 2014 suite aux intempéries qui avaient ravagé une partie de la métropole de Montpellier. Le Lez avait alors débordé de son lit causant d’importants dégâts. Un militant associatif expliquait à l’époque que « les surfaces imperméabilisées ont triplé en vingt ans ! (…) Ces dernièrIMG_20150824_170028es années, Montpellier connaît un développement urbain très important. Et il n’y a pas de vrai écoquartier laissant la place à des zones vertes et bleues. Partout, c’est du béton, du béton, du béton ! » Et le quotidien de Jaurès de questionner : « Après la remise en état de la ville, Montpellier va-t-elle alors se poser les bonnes questions pour, à l’avenir, éviter de rejouer Venise-sur-Lez ? » Apparemment, les élus n’ont pas appris de l’année dernière ne serait-ce que dans la gestion de la crise. Comme en atteste sur le sujet, les commerçants du Faubourg de la Saunerie qui ce midi encore épongeaient leurs échoppes. Ils verront dans l’après-midi arrivé les pompiers pour les aider. De son côté, la mairie a dépêché les police municipale pour boucler la rue du faubourg. Alors que l’automne et ses fameuses pluies cévenoles ne sont pas encore arrivés, il est plus que temps de se poser les bonnes questions.

Cool béton !

À lire le site Internet de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, les crues ne sont pas un phénomène nouveau sous nos latitudes : « Les crues torrentielles, très violentes, sont liées à des pluies très intenses. Elles se produisent surtout en milieu méditerranéen et en montagne ». Un facteur important d’inondations est l’occupation de zones inondables qui s’est accéléré ces dernières décennies. Ainsi, en France « 80% des habitations aujourd’hui en zone inondable ont moins de 40 ans. Cette occupation accroît le risque d’inondation et les dommages ainsi causés sont de plus en plus importants, en termes financiers mais aussi parfois en vie humaine« , poursuit l’Agence de l’eau. Et, dans le bassin Rhône-Méditerranée dont fait partie Montpellier et sa métropole, « 47% des communes sont concernées par le risque d’inondation. »

Un autre élément pointé par l’Agence est « l’imperméabilisation des sols » plus communément appelée la « bétonisation ». Si l’on voulait réduire « les crues par ruissellement urbain », il faudrait « une moindre imperméabilisation des sols, l’aménagement de bassins de rétention… ». strategies-protection-innonEt l’institution de conseiller de « mieux maîtriser l’urbanisation des zones inondables et réduire la vulnérabilité de ces zones : adapter les réseaux et infrastructures, moderniser la prévision des crues, améliorer la chaîne d’alerte et les plans de secours, sans oublier d’associer les populations exposées afin de les rendre acteurs face au risque. » Et nos élus ont décidé de faire… tout le contraire !

Ainsi, les marchands de béton ont la belle vie à Montpellier. Les élus leur laissent les champs libres pour ériger leurs monstres de ciment. L’aménagement du quartier Port-Marianne se poursuit avec la construction de nouveaux immeubles. L’argument de la forte démographie pour les justifier est relativisée par la présence de 10 000 logements vacants à Montpellier. Un grand plan de rénovation des logements vides et des taudis du centre ville serait plus adéquat.

Nos élus ne s’arrêtent pas là et ont prévu de combler les zones libres en érigeant  de rutilants centres commerciaux aux alentours de la ville. Côté Sud-Est, Ode, Oz, le contournement ferré et sa nouvelle gare installée en zone inondable comme Pas de roses sans épines ! l’a démontré ici. Et ce n’est pas tout ! Les Portes de l’aéroport vont sortir de terre dans le Pays de l’Or immobilisant 14 hectares ! Sans oublier le doublement de l’A9 actuellement en cours qui empêchera autant d’eau de s’infiltrer en cas de fortes pluies. Au nord de Montpellier, Decathlon y va à fond le béton avec son gigantesque projet Oxylane de 20 hectares qui a été officialisée par la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC).

Avec tous ces projets qui ont reçu l’onction des votes des élus, Philippe Saurel, maire-président de la métropole de Montpellier, a beau jeu de demander à l’État le classement de la ville en zone de catastrophe naturelle. Faut-il lui rappeler l’adage populaire « prévenir, c’est guérir » ?

La toile cirée agricole

Moins connue que le bétonnage de nos espaces, la forme d’agriculture a aussi à voir avec le phénomène des inondations. Ainsi, sur son blog « Changeons d’agriculture », l’agronome Jacques Caplat tient à démontrer « la responsabilité oubliée des sols agricoles ». D’après lui, « un sol agricole digne de ce nom est censé être riche en matière organique et en organismes vivants (…), et être bien structuré grâce à un système racinaire dense et varié (…). Lorsque c’est le cas, sa capacité drainante lui permet de laisser l’eau de pluie le pénétrer en profondeur, et par exemple gagner progressivement la nappe phréatique le cas échéant. Surtout, sa richesse en matière organique lui permet de fonctionner comme une éponge, c’est-à-dire d’absorber directement de considérables volumes d’eau et de les retenir en son sein. »

« L’agriculture conventionnelle a transformé d’anciennes éponges en nappes de toile cirée », clame-t-il expliquant qu’ « un sol biologique riche en matière organique, par exemple, pourra absorber 20 % d’eau supplémentaire par rapport à un sol appauvri par les produits chimiques et le labour profond ». De bonnes terres agricoles sont précieuses en cas de pluies violentes. « Un sol agricole vivant (en particulier riche en vers-de-terre) et bien structuré peut absorber entre 40 et 100 mm d’eau en une heure (…) et joue donc un rôle d’amortisseur des pluies d’orage. » À Montpellier, il reste des terres agricoles qui pourraient, en partie, faire office d’éponge. Mais la métropole de Montpellier a décidé d’y bâtir une nouvelle gare. C’est un choix.

Montpellier, la sous-marine

Montpellier est bel et bien une ville sous-marine. Pour s’en assurer, il faut se référer à l’arrêté préfectoral du 12 décembre 2012 émanant du préfet coordonnateur du bassin Rhône-Méditerranée par Carte-TRIailleurs préfet de la région Rhône-Alpes. Ce dernier établit la « liste des territoires dans lesquels il existe un risque important d’inondation ». Le territoire « Montpellier-Mauguio-Lunel-Palavas » y figure ainsi qu’une bonne partie de la métropole. Ces villes sont considérées comme des territoires à risque important (TRI) d’inondations.

En décembre 2013, le service prévention des risques de la DREAL (Direction régionale Environnement Aménagement Logement) produit même un document de 29 pages sur le TRI de Montpellier. Les cartes précises comme celle ci-dessous présentant une partie de Montpellier montrent que la ville se situe en partie en zone « crue de moyenne probabilité » et « crue de forte probabilité ». Rien de nouveau donc sous le soleil de Montpellier !

TRI_MONTPELLIER_CE_RISQUE

La prévention tombe à l’eau !

D’après l’Agence des l’eau, c’est pourtant la prévention des inondations qui restent le moyen plus efficace. Mais la bande à Saurel a peut-être autre chose à faire que de lire le récent « Plan de Gestion des Risques d’Inondation » (PGRI) du bassin Rhône-Méditerranée de mars 2015. Le projet court sur 2016-2021 avec un fer de lance : « Connaître, Prévenir, Gérer, Organiser ». On y apprend que le coût annuel des dommages suite aux inondations en France est évalué entre 650 et 800 millions d’euros et que « le bassin Rhône-Méditerranée est le plus concerné par les inondations en France » ! Ainsi, 5 millions de personnes et 2,9 millions d’emplois, soit un tiers des habitants et des emplois, « sont potentiellement exposés aux risques d’inondation ».

Pour ce qui concerne le littoral méditerranéen, « plus de 200 000 habitants et 130 000 emplois sont potentiellement concernés par le risque de submersion marine ». D’après les estimations, « le changement climatique induira une élévation du niveau de la mer d’environ 60 cm d’ici 2100. » Et le PGRI a défini 5 grands objectifs qui « s’appliquent à l’ensemble du bassin Rhône-Méditerranée ». En théorie. Car Montpellier ne semble pas appliquer ne serait-ce que la moitié d’un. Le premier d’entre eux est de « mieux prendre en compte le risque dans l’aménagement et maîtriser le coût des dommages liés à l’inondation » dont « réglementer l’urbanisation en zone inondable au travers des documents d’urbanisme ». Le projet de seconde gare en zone inondable va complètement à l’encontre de ce premier objectif malgré ce que les imposteurs pérorent dans la presse.

Le deuxième objectif est d’ « améliorer la résilience des territoires exposés » où les élus doivent « prévoir les inondations et (…) alerter », « s’organiser pour gérer les crises et assurer un retour à la normale », « sensibiliser les populations aux risques d’inondation. » Les trois derniers objectifs sont : « augmenter la sécurité des populations exposées aux inondations en tenant compte du fonctionnement naturel des milieux aquatiques », « organiser les acteurs et les compétences » et « développer la connaissance sur les phénomènes et les risques d’inondation ». Les montpelliérains restent seuls juges en la matière sachant que dans les dispositions du PGRI, on trouve, entre autre :« éviter d’aggraver la vulnérabilité en orientant le développement urbain en dehors des zones à risque », « valoriser les zones inondables » et « assurer la continuité des services publics pendant et après la crise ». No comment.

Post-inondation

Les impacts des inondations sont aussi considérables pour la population. Et comme nos élus sont des férus d’économie, commençons par les conséquences économiques. La DREAL a établi trois scénarios : fréquent, moyen et extrême. Prenons le moyen qui est le scénario qui se trouve entre deux eaux. D’après celui-ci, à Montpellier, 1 163 habitants permanents et entre 3 966 et 4 688 emplois sont impactés par les inondations. L’Évaluation préliminaire des risques d’inondation sur le bassin Rhône-Méditerranée rédigée par la DREAL contient aussi de précieuses informations en la matière. Au chapitre « impacts potentiels sur l’économie », la Direction écrit que « les inondations peuvent avoir des impacts négatifs sur différents types d’enjeux liés à l’économie ». Les biens privés et publics qui sont en première ligne IMG_4828_1024puis les réseaux (transports, énergie, eau, etc.) qui « sont le plus souvent fortement vulnérables étant donnée leur interdépendance. » L’ensemble des activités s’en trouvent aussi affectées par une « rupture d’activité  potentielle suite à la rupture ou au dysfonctionnement des réseaux, à l’indisponibilité des personnels inondés, au défaut de fonctionnement d’un fournisseur inondé, … ». Sans oublier les assurances dont la couverture est variable selon les types de dommages. Les commerçants du centre-ville inondés sont là aussi bien placés pour en parler. Pour sa part, la DREAL insiste sur « l’évaluation de ces impacts potentiels (…) particulièrement complexe étant données ces différentes natures d’atteintes. »

Les infrastructures délicates ont également à souffrir des intempéries. Dans sa liste de sites sensibles, la DREAL pointe les stations d’épuration. Installées généralement en bordure de lits majeurs, elles « peuvent être vulnérables en cas d’inondation importante. » Le risque ?  « elles sont susceptibles d’engendrer un rejet direct dans le milieu et une pollution importante de celui-ci dans la période suivant l’événement ». La spécificité montpelliéraine est que l’usine Maéra n’attend pas les inondations pour jeter en pleine nature une eau non traitée. Ainsi, il y a une dizaine de jours, la station a rejeté 50 000m3 d’eaux usées non traitées au large de Palavas-les-Flots (Midi Libre – août 2015). Ce lundi 24 août, le maire de la station balnéaire a fermé préventivement une partie des plages dans l’attente des analyses de l’eau (Midi Libre – 24/08/15). Il faut dire que ce service public de l’assainissement de l’eau est sous-traité au géant Veolia dont les actionnaires ne vivent pas d’amour et d’eau fraîche mais de la pureté des dividendes, l’argent (public) n’ayant, lui, pas d’odeur.

Le plus grave reste l’impact sur la santé que la DREAL a scrupuleusement décrit. Le plus dramatique que vient de connaître Montpellier est le décès de personnes expliquant que « les noyades sont d’autant plus fréquentes (…) que les phénomènes se produisent rapidement dans un environnement où les personnes ne disposent pas d’espace refuge. » Ensuite, arrivent les atteintes psychologiques, moins visibles sur le moment, où « les personnes ayant subi des inondations sont plus sujettes aux troubles du sommeil, voire aux dépressions. » Mais ces impacts-là, personne n’en parlera se contentant d’images impressionnantes et de biens matériels.

 

Il est donc plus que temps de prendre les inondations  au sérieux à Montpellier ! Les services de l’État sont clairs à ce sujet : le phénomène va se répéter. Cela demande donc à repenser collectivement la ville : élus, habitants, associations, collectifs. Et laisser moins de place aux lobbys en tout genre (eau, immobilier). Pour cela, les représentants des citoyen-ne-s doivent être clairs comme de l’eau de roche sur leurs intentions : continuons-nous à pousser des cris d’orfraie sur la violence du climat ou intéressons-nous enfin aux racines du problème ? À suivre…

 

Crédit photo de Une : Sunra Solart (Facebook)

3 réflexions sur “Inondations à Montpellier : Lez béton !

  1. Commentaire transmis de la part d’un observateur parisien avisé…
    « Bonjour, c’est un bon article, mais qui laisse de côté un aspect important de l’imperméabilisation qui est l’habitat individuel. Non seulement on construit sur des surfaces de plus en plus petites, avec un ratio bâti/non bâti qui augmente, mais le non bâti s’imperméabilise aussi: piscines, terrasses, allées en enrobés ou autoblocants… Par ailleurs, les mesures compensatoires en zone inondable sont impossible à faire respecter. Ces mesures ne sont que des pis aller, mais si on peut un petit peu s’assurer qu’elles sont respectées (très mal) dans des ZAC, c’est impossible à cette échelle. Au final, la somme de ces petites surfaces, de ces volumes prélevés à la crue finissent par faire des dégâts. C’est le défaut de l’article de pointer les défaillances ailleurs alors que la stratégie du « passager clandestin » est adoptée par tous.
    Bonne journée, Sylvain »
    ———–fin—-

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  2. Commentaire de Pascal, transmis:
    « oui, je trouve également cet article bien écrit et bien ciblé.
    J’ajouterais en plus de tout ce que vous avez dit et pour la conversation que le bétonnage conduit également à la perte de terres fertiles importantes pour l’alimentation, surtout dans une prospective « changement global ».
    De plus, la montée du niveau marin d’ici 2100 de 60cm qui est citée est un vieux chiffre incertain et dépassé. Le GIEC indique a présent une valeur max de 2100 avec une fraction des processus importants, et les adeptes de la gestion du risque et du principe de précaution préconisent plutôt de considérer +2m comme valeur « projet ». Oui, ça fait beaucoup, et encore seulement pour ce siècle-ci.
    Bonne rentrée, Pascal. »

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