Le jeudi 21 mai, à l’occasion de la Fête de la Nature, l’association Eco-Sciences Mosson invitait les montpelliérains à venir assister à l’inauguration de la nouvelle version du sentier REVE (REvalorisation et reVegetalisation des espaces verts) qui serpente entre les berges de la Mosson et la médiathèque Jean-Jacques Rousseau. Un parcours pédagogique en cinq étapes pour retracer l’histoire de la végétation méditerranéenne depuis la fin de la dernière glaciation, il y a 10 000 ans, jusqu’à nos jours. C’est le président de l’association, Adam Ali, aussi maître de conférence à l’Université de Montpellier, qui s’est chargé de remonter le temps pour partager son savoir. Une belle initiation à la botanique pour cette association qui s’appuie sur « l’engagement et la complémentarité d’enseignants, de parents d’élèves et d’habitants » et dont la devise est « On peut parler des sciences à La Paillade sans être pris pour un fou ». Suivez le sentier !
Le contexte géologique
« On ne peut pas étudier la végétation d’un milieu sans avoir une approche chronologique et géologique », débute Vincent Girard, lui aussi maître de conférence à l’Université de Montpellier et membre de l’association. Car en effet, c’est le substrat qui va déterminer quels types de plantes vont pouvoir s’installer. Ici le sol est composé de calcaire datant du Jurassique (200 – 145 millions d’années). Une formation marine à partir de calcium et de magnésium comme en atteste la présence de fossiles d’ammonites, des mollusques aquatiques aujourd’hui éteints. Mais comment une couche calcaire formée il y a des millions d’années peut-elle se trouver sous nos pieds ? « Il a fallu d’énormes forces et contraintes », explique Vincent Girard.
Des forces assez puissantes pour créer des reliefs, causer des déformations et entraîner la formation d’une chaîne de montagne. C’est ainsi que sont apparues les Pyrénées ou plus localement le Pic Saint-Loup et l’Hortus. Ce sont ces perturbations qui expliquent la remontée du calcaire Jurassique à la surface, sur lequel la végétation méditerranéenne pousse aujourd’hui. Pour illustrer ces mouvements de terrain il n’y a d’ailleurs pas mieux que La Paillade, « voici le Pli de la Mosson ou Pli de Montpellier », présente Vincent Girard. Sur les berges du cours d’eau éponyme se trouve une discrète structure géologique (voir photo) qui doit interpeller les passants et émerveille les géologues. Un pli qui permet d’avoir conscience des forces en présence. « Le contexte géologique conditionne et façonne le paysage », ajoute Adam Ali. Place à la botanique !
La végétation pionnière
La première étape du sentier REVE commence donc il y a 10 000 ans, après la dernière grande glaciation. « A partir du Quaternaire (2,5 Ma) s’enchaînent des périodes de glaciation et de réchauffement », introduit Adam Ali. Car si nous sommes aujourd’hui dans une période de réchauffement caractérisée par l’Holocène, il n’en a pas toujours été ainsi. « Il y a 18 000 ans c’était l’optimum glaciaire », soit la période la plus froide de la dernière glaciation, poursuit Adam Ali. A cette époque le paysage méditerranéen ressemblait à une steppe composée de plantes rases alors que les plantes du sud de la France s’étaient déplacées en Espagne dans des zones refuges.
Heureusement pour nous la rotation de la Terre a permis un réchauffement du climat et une lente migration de la végétation méditerranéenne le long des cours d’eau. Après cet épisode glaciaire les seuls grands végétaux à pouvoir s’installer sont les plantes dites pionnières, celles qui n’ont pas besoin de beaucoup de ressources pour se développer. « Le paysage est alors dominé par les conifères comme le pin de Salzmann, l’if ou encore le genévrier », explique Adam Ali. Ce sont ces espèces, auxquelles on peut ajouter l’érable champêtre, qui vont travailler le sol pendant des centaines d’années et l’enrichir.
La chênaie blanche
De -8 000 à -6 000 ans c’est la forêt qui s’installe dans les plaines du sud de la France. Avec les températures qui s’adoucissent et l’eau en grande quantité, les conditions deviennent de plus en plus favorables pour les grands arbres qui peuvent profiter d’un sol riche et profond suite au passage de la végétation pionnière. Le chêne blanc ou chêne pubescent (Quercus pubescens) domine alors le paysage, c’est la chênaie blanche. Il est accompagné d’orme, de tilleul et d’érable de Montpellier (Acer monspessulanum). Le règne du chêne blanc sonne aussi la fin de la prépondérance des conifères. Les Hommes profitent également de cette métamorphose, les chasseurs-cueilleurs nomades arpentent et sillonnent ces forêts d’un genre nouveau.
La chênaie mixte
Entre -6 000 et -4 000 ans les Hommes commencent à s’installer pour de bon et le modelage du paysage débute par la même occasion. Cet impact marque le préambule de l’Anthropocène (période où l’activité humaine est devenue la contrainte géologique dominante devant toutes les autres forces géologiques et naturelles qui jusque là avaient prévalu). Le Néolithique, l’« âge de la pierre nouvelle », pointe le bout de son nez au nord de la Méditerranée et l’amélioration ou l’invention d’outils va faciliter le défrichage et la sédentarisation. Hommes et climat vont alors donner lieu à une période de transition où le paysage sera composé d’un mélange de chêne blanc (photo) et de chêne vert (Quercus ilex), ce dernier étant bien plus résistant à l’aridité et aux fortes chaleurs. C’est la chênaie mixte. On y retrouve également des filaires et des arbousiers (Arbutus unedo).
La domestication
A partir de -4 000 ans l’Homme dompte le paysage et intensifie son impact, il devient en quelque sorte un « magicien », comme le souligne Adam Ali. Il est désormais maître de la nature et modifie le patrimoine génétique des espèces en semant, récoltant et sélectionnant les espèces les plus productives et nutritives. C’est l’ère de la domestication. Toute la végétation s’en voit transformée et les espèces fruitières deviennent omniprésentes. On peut notamment trouver des figuiers, des oliviers, de la vigne, des grenadiers ou encore des légumineuses et des céréales comme le blé. Le chasseur-cueilleur est devenu cultivateur. Avec cette sécurité alimentaire et la maîtrise des ressources, les populations augmentent fortement.
La garrigue
De -2 000 ans à nos jours, l’environnement est totalement modelé par des milliers d’années d’activité humaine. Sédentarisation, agriculture, élevage du bétail, défrichage, incendies, boom démographique et coupe du bois achèvent d’ouvrir le milieu pour former la garrigue, panorama emblématique du sud de la France. « On dit que le paysage est anthropoformé », ajoute Adam Ali. La taille des arbres liée à la production charbon finit de faire disparaître le chêne blanc, détrôné par le chêne vert et le chêne kermès (Quercus coccifera) dont les tiges repoussent après la coupe pour former des taillis. Enfin, la mondialisation et les échanges grandissants donnent lieu à un autre bouleversement écologique : l’introduction d’espèces exotiques telles que le néflier du Japon ou le robinier d’Amérique du Nord.
Comme on peut le voir en remontant le temps, le paysage méditerranéen est en perpétuelle métamorphose. Les activités humaines ont rapidement pris le dessus sur les bouleversements naturels. Elles ont entraîné de grands changements entre les espèces avec la conservation des taxons les plus résistants aux perturbations mais également à l’intérieur des espèces en favorisant certains traits génétiques. Cette transformation est toujours en cours. D’ors et déjà, avec l’exode rurale, les campagnes deviennent de plus en plus sauvages tandis que le littoral doit supporter une charge démographique toujours plus importante. Les températures continuent de monter et des espèces disparaissent tous les jours sous le poids de multiples facteurs en laissant le champ libre à des espèces exotiques qui sont parfois invasives. Le paysage est donc changeant et un autre milieu viendra inéluctablement remplacer la garrigue actuelle. Ce n’est pas pour autant une raison de minimiser les ravages causés par l’Homme qui sont extrêmes, planétaires et très rapides.