« Ce gouvernement, je le caractérise d’un mot : la police partout, la justice nulle part. » La citation de Victor Hugo garde son entière actualité aux lendemains des attentats qui ont frappé Paris. Le gouvernement a décidé d’abuser de l’état d’urgence menaçant les libertés fondamentales qui sont pourtant le ciment de la République. Plus que jamais, les citoyens doivent avoir libre cours à l’expression pour, collectivement, réfléchir et débattre dans le désastre social qui secoue le pays depuis de trop nombreuses années.
« Aujourd’hui, la réalité, dans ce qu’elle a de plus cruel et de plus injuste, a donc repris ses droits en France, secouant par la même occasion les autres régimes européens. Et cette fois, ça nous a fait l’effet d’une gueule de bois un lendemain de cuite », écrit Le Comptoir pour qui « tout à coup, la vérité nous pète à la figure : notre société de confort pourrait bel et bien disparaître et la terreur devenir quotidienne. » Les attentats survenus le 13 novembre dernier à Paris ont fait trembler les fondements de notre République. Comment a-t-on pu en arriver là ? « Évidemment, la question sociale n’explique pas tout », répond le site Internet pour qui « la balayer d’un revers de main est aussi stupide que d’en faire la seule clé de compréhension du phénomène du terrorisme. Par-delà les éloges à la diversité – souvent le fait d’une nouvelle petite bourgeoisie pour qui multiculturalisme rime avec kebabs, sushis et le rayon “musique du monde” à la Fnac –, une partie de la jeunesse française n’a connu que délit de faciès et relégation dans des ghettos où les conditions de vie se dégradent de jour en jour. » D’ailleurs, « toutes les politiques menées dans ces zones sensibles depuis trente ans n’ont fait qu’amenuiser peu à peu l’accès aux soins et aux transports, à une éducation de qualité et à des logements décents. »
Guerre sociale
La France est en guerre, c’est indéniable. Une guerre sociale produisant des millions de victimes de la pauvreté. Pour le réalisateur Patric Jean, le fait social doit être partie intégrante de la réflexion : « Il y a actuellement trois millions d’enfants qui vivent sous le seuil de pauvreté en France, au beau milieu d’une richesse ostentatoire. Combien d’entre eux finiront dans l’ultra violence, soit contre eux-mêmes, soit contre les autres via des idéologies religieuses ou politiques délirantes ? » Dans un débat public où la puissance médiatique dicte l’émotion, « il est devenu interdit de poser cette question publiquement, au risque d’être soupçonné d’entretenir une sympathie pour les terroristes. Or, il se fait que les Musulmans sont largement sur-représentés parmi les catégories les plus pauvres de la société française, là où les djihadistes recrutent. Du coup, la France se comporte vis-à-vis de certains d’entre eux comme un pays ex-colonisateur, socialement violent pour ses anciens colonisés qui continuent de subir un racisme institutionnel (on a jeté aux oubliettes la limitation des contrôles au faciès), géographique, social, économique. » Patric Jean poursuit : « Encore une fois, il ne s’agit pas de justifier l’attitude violente d’une infime minorité, mais de se questionner sans fard sur ce qui la nourrit. Et de reconnaître que cette analyse est perpétuellement dévoyée par l’ (extrême) droite pour criminaliser l’ensemble des Musulmans (et plus largement les pauvres). »
L’état d’urgence doit donc d’abord être social car, écrivait aussi Victor Hugo : « La question est dans ceux qui souffrent, dans ceux qui ont froid et qui ont faim. La question est là. » Une récente étude de l’Institut national de veille sanitaire dépeint la réalité de la pauvreté que vivent 3 millions d’enfants dans ce pays (Bulletin épidémiologique hebdomadaire – N° 36-37, 17 novembre 2015). Ainsi, selon l’Insee, « le nombre de personnes sans domicile vivant en France a augmenté de 50% entre 2001 et 2012 » ! L’étude montre aussi qu’il y a « une augmentation et une diversification des populations sans domicile au cours de la dernière décennie, avec notamment un accroissement des familles ayant des enfants. » Et cette précarité « a de nombreux impacts sur leur état de santé. » Ainsi, entre 2008 et 2010, on estime qu’il y a eu 6 730 décès de personnes sans domicile en France.
Et dans notre monde moderne, la pauvreté n’est plus réservée à celles et ceux qui n’ont pas de domicile fixe. Ainsi, « depuis 2007, à la faveur de la crise, on assiste en Europe à une progression de la pauvreté au travail », explique le Conseil d’orientation pour l’emploi (Rapport général – « Les réformes du marché du travail en Europe » – 5 novembre 2015). Nombre de salarié-e-s sont donc plongés dans la pauvreté. « Est considérée comme pauvre toute personne vivant avec un revenu inférieur à 60 % du revenu médian », explique le COR. Un état de fait qui a donné lieu à ce formidable néologisme de « travailleur pauvre ». Un concept qui n’aurait pas été compréhensible il y a encore vingt ans, tant le travail cimente les rapports dans notre société.
Démocratie en danger !
Et quelle est la seule réponse de l’exécutif dans ce contexte de terreur généralisée ? Le tout sécuritaire ! Le 16 novembre, avant que ne soit votée la promulgation de l’état d’urgence pour trois mois, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) s’inquiétait déjà des « projets du président de la République : l’état d’urgence en permanence ? » « La logique de guerre qu’il a mise en avant conduit à modifier en profondeur plusieurs aspects de l’État de droit : qu’il s’agisse de la Constitution, de la procédure pénale ou des règles de la nationalité, ou d’autres encore. » Pour la LDH, « cette démarche est d’autant plus inquiétante que le président de la République a observé un silence total sur les causes profondes de la situation actuelle, les échecs observés et ne présente qu’une seule alternative : un pouvoir fort ou le terrorisme, sans se préoccuper d’assurer la cohésion sociale et l’égalité des droits. »
Le même jour, le Syndicat de la magistrature se fendait aussi d’un communiqué pour alerter : « les mesures tant judiciaires qu’administratives qui seront prises ne feront qu’ajouter le mal au mal si elles s’écartent de nos principes démocratiques. » Pour les magistrats, « la France a tout à perdre à cette suspension – même temporaire – de l’État de droit. » Ainsi, « lutter contre le terrorisme, c’est d’abord protéger nos libertés et nos institutions démocratiques en refusant de céder à la peur et à la spirale guerrière. Et rappeler que l’État de droit n’est pas l’État impuissant. »
D’ailleurs, les députés n’ont pas perdu de temps pour s’enfoncer dans la brèche des premiers jours de l’état d’urgence. Ainsi, dans le projet de loi pour le prolonger, une poignée d’entre eux ont été les auteurs d’un amendement plus qu’inquiétant et qui pose question sur la nature de leurs motivations à restreindre nos libertés. Ainsi, l’amendement n°CL-41 portant sur l’article 4 du projet de loi voulait « par une disposition expresse, habiliter les autorités administratives visées à l’article 8 à prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales. » Il sera finalement retiré. Mais les citoyen-ne-s doivent garder en mémoire les noms de ces députés parmi lesquels on retrouve Sébastien Denaja, député (Parti socialiste) de la 7ème circonscription de l’Hérault. Pourquoi a-t-il, avec ses collègues, joué ce tour de force anti-démocratique ?
Pour Victor Hugo, « suspendre les journaux, les suspendre par l’autorité directe, arbitraire, violente, du pouvoir exécutif, cela s’appelait coups d’état sous la monarchie, cela ne peut pas avoir changé de nom sous la République […]. La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c’est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l’une, c’est attenter à l’autre. » Les coups portés à nos libertés sont autant de coups de couteau dans le contrat social républicain. L’exécutif veut nous empêcher de penser. Un exemple flagrant est l’interdiction des événements citoyens autour de la COP21 alors que les grandes surfaces et les stades de football continuent de tourner à plein régime. D’ailleurs, un appel a été lancé par Alternatiba pour résister (Appel pour le maintien des mobilisations pour le climat à signer ici). L’exécutif voudrait-il in fine annihiler toute réflexion citoyenne ? Retirer nos libertés pour combattre la terreur, c’est mettre en place l’autoritarisme, prélude au totalitarisme. Les Lumières citoyennes sont le meilleur rempart à l’obscurantisme ! Plus que jamais, les citoyen-ne-s de la République doivent raisonner et débattre collectivement. Mais il est vrai que, comme l’écrivait Alain, « penser, c’est dire « non » ».
Sans la moindre réserve, je partage votre point de vue.
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J’approuve totalement ! Bravo et merci !
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Encore une fois, vous tapez juste !
Drôle de société où on contrôle l’entrée et la sortie des humains mais pas des marchandises, ni des flux financiers. Elles arrivent comment au fait les kalachnikovs ?
Merci encore de la qualité de vos opinions.
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