Les précaires du travail social

Ils sont travailleurs sociaux. Leur quotidien est de s’occuper des plus précaires. L’association Gammes, présidée par un ancien préfet, décroche une mission pour l’accueil des demandeurs d’asile. Et faute de moyens supplémentaires, leurs conditions de travail descendent… en gamme.

urgence-sociale

8h30, ce lundi 18 janvier devant le local d’une des associations  de Gammes*, le Groupement d’Associations Mutualisées économie Sociale à Montpellier, en charge de l’accueil d’urgence. Une trentaine de travailleurs sociaux se rassemblent pour leur première grève à l’appel de la CGT action sociale. Alors que les flocons tombent timidement sur son manteau, Gaëtan explique : « après avoir remporté l’appel d’offres auprès de la préfecture, le 4 janvier 2016, nous avons crée un nouveau service : le PAADA. » Le PAADA est la plate-forme d’accueil et d’accompagnement des demandeurs d’asile. « L’effectif devait s’agrandir et un espace devait être dédié mais ça n’a pas été le cas. Cela a été fait sans préparation », poursuit-il. Sans moyens supplémentaires, ce nouveau service est donc en place dans les mêmes locaux et avec les mêmes salariés qui ont pourtant déjà beaucoup à faire.

thumb_IMG_8407_1024Sa collègue, secrétaire, raconte : « le PAADA est une mission de l’État et on se substitue à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) sauf que nous avons moitié moins de personnel qu’avait l’OFII ! » Gaëtan reprend : « À la base, notre public est sans hébergement stable. Les personnes viennent donc nous voir pour des solutions d’hébergements mais aussi pour se doucher, avoir accès aux droits (RSA, CMU), tout ce qui peut faire en sorte de ne plus être dans l’urgence. Le PAADA est crée là alors qu’il nécessite un accueil spécifique. » En fait, tous les salariés de l’association sont susceptibles d’aller donner un coup de main à ce nouveau service et pour le coup, leur propre service se retrouve en sous-effectif. Et dans une ville où la pauvreté culmine à 25%, le travail ne manque pas : « Maintenant, on peut avoir jusqu’à 120 personnes en une matinée ! » « Ça n’a pas été préparé ! Par exemple, nous n’avons pas d’interprète pour accueillir ces demandeurs », continue-t-il.

Rationalisation

Si Gammes joue une partition pleine de fausses notes pour son personnel, le dispositif initié par les services de l’État relève du parcours du combattant pour les demandeurs d’asile. Ainsi, la mission confiée à l’association concerne l’Hérault, l’Aude, le Gard et la Lozère. Un second PAADA existe à Perpignan. Si un demandeur est de Carcassonne, il thumb_IMG_8406_1024devra venir jusqu’à Montpellier pour constituer son dossier. Si l’accueil est saturé, ce qui peut être le cas au vu du manque de moyens alloués par la direction de Gammes, il devra retourner à Carcassonne et revenir le lendemain à Montpellier. « Le risque c’est que des demandeurs d’asile ne reviennent pas », craint Gaëtan qui connaît parfaitement la réalité des publics plongés dans la pauvreté.

En agissant de la sorte, Gammes, avec la complicité de la préfecture, va à l’encontre de la directive européenne 2003/9/CE du 27 janvier 2003 « relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (qui) vise à garantir un niveau de vie digne et comparable pour les demandeurs d’asile dans l’Union européenne. » L’étude réalisée par le Point de contact français du Réseau européen des migrations (REM) (L’organisation des structures d’accueil pour demandeurs d’asile en France, octobre 2013) rappelle pourtant l’objet énoncé dans l’article 13 de la directive qui  « impose aux États membres qu’ils garantissent aux demandeurs d’asile un accès aux conditions matérielles d’accueil permettant un niveau de vie adéquat ainsi que la subsistance des demandeurs d’asile. »

L’État impulse cette logique de précarisation généralisée en 2010 en régionalisant l’accueil des demandeurs d’asile : « 33 préfectures ont gardé la compétence de l’admission au séjour pour le dépôt de la demande d’asile, et une grande partie des plateformes d’accueil des demandeurs d’asile a été supprimée, pour n’avoir qu’un point de premier accueil par région. » Un des objectifs est tout simplement « de rationaliser le coût de la prise en charge ». Sur la rationalisation, Gammes est raccord.

Un ancien préfet à la manœuvre

Daniel Constantin, président de Gammes qui compte entre 1 200 et 1 300 salariés, est celui qui met tout cela en œuvre. L’homme n’est pas un inconnu puisqu’il est l’ancien préfet de l’Hérault et une figure du frêchisme depuis désavouée par les héritiers de Georges Frêche. Le 7 septembre 2015, Constantin est aux côté de Pierre de Bousquet de Florian, alors préfet de région, et Philippe Saurel, maire de Montpellier. Les trois compères célèbrent l’ouverture prochaine « d’un nouveau centre d’accueil des demandeurs d’asile dans le quartier Mermoz » (Midi Libre – 09/09/15). « Nous avons trois mois pour ouvrir les anciens locaux d’un bâtiment de l’Équipement aux familles de migrants », explique-t-il alors. Cette action rentre dans le cadre de la politique de François Hollande d’accueillir 24 000 réfugiés. Début 2015, la région comptait 800 demandeurs d’asile, un chiffre qui « pourrait monter à 1 100 d’ici la fin de l’année », (Midi Libre – 04/10/15).

Deux semaines après la mise en place du PAADA, les grévistes pointent du doigt l’écart qu’il y a entre les beaux projets de Constantin et de ses directeurs et la réalité quotidienne pour les travailleurs sociaux. « Nous sommes déjà une structure avec une activité conséquente et on rajoute une activité sur un lieu conséquent », résume Mathieu, assistant social. La réalité est alors plus précaire pour ces salariés : « Pendant quinze jours, on a privilégié le PAADA au détriment de notre service d’accueil pour soutenir les collègues. Il y a une intensité du travail, on ne prend pas nos pauses. Et, à force, on se demande si on fait bien notre travail. On ne le sait même pas. » Pourtant, les salariés ont alerté : « Nous avons prévenu le CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ndlr) et alerté le chef de service et comme seule réponse nous avons eu droit à : “on va faire un point au bout d’un mois.“ »

Précarisation

Les conditions de travail se sont donc considérablement détériorées pour les personnels. Une psychologue qui a quinze ans d’expérience explique même : « Je n’ai pas de bureau donc je change tout le temps d’espace de travail ! » Et cette nomade de la psychologie d’urgence d’analyser le secteur du travail social : « Ça a toujours été de demander aux thumb_IMG_8404_1024équipes de faire l’éponge. Beaucoup de personnes sont parties et ont été renouvelées par des gens engagés. » Mais elle ne cachent pas que le quotidien se dégrade : « On en arrive à travailler comme des entreprises, c’est-à-dire à flux tendu alors qu’il n’y a pas d’augmentation des subventions. » Sa collègue qui s’est reconvertie dans le social conclut d’une formule résumant la situation : « c’est de la précarisation sur la précarité ! »

Une délégation constituée de représentants du personnel a depuis été reçue par la direction de l’association Issue. Les revendications sont simples : des locaux adaptés et des personnels supplémentaires qualifiés. Le PAADA a été mis en place « sans concertation des personnels », assure la CGT. En deux semaines, les neuf travailleurs sociaux ont reçu 1 230 personnes. Après une journée de négociation, la direction a fait savoir aux salariés qu’elle se rendra disponible « pour étudier avec les équipes des possibilités d’accueil plus satisfaisantes », explique le syndicat. Mais aucun nouveau local n’est envisagé. En attendant, les salariés ont repris le travail en espérant fortement une montée en Gammes de leurs conditions de travail.

* Gammes regroupe plusieurs associations dans différents secteurs (aide à domicile, hébergement, insertion, développement social). Les grévistes font partie de l’association Issue.

2 réflexions sur “Les précaires du travail social

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