Un cheveu écolo dans la soupe libérale

Le rituel du jeudi, c’est : 17h, le panier de légumes au local de Modulauto. L’entreprise d’autopartage à Montpellier met ses bureaux à disposition des producteurs de la coopérative Terracoopa. « C’est dans la logique de notre projet », explique Olivier, co-fondateur de la voiture socialisée assurant ainsi la convergence des alternatives au tout-productiviste. Les citadins viennent retirer-là un morceau de campagne où s’entremêlent choux, betteraves, pommes de terre, courges, etc. Mais pas que. Des dégustations permettent de faire rencontrer le contestataire des villes avec son alter-ego des champs. C’est, en fait, un réseau social du légume qui retisse les liens par l’assiette.

Le 5 novembre dernier, c’est une autre vision de l’agriculture qui s’est violemment manifestée dans tout le pays. D’après Le Parisien, plus de 35 000 exploitants agricoles ont fait rugir leurs rutilants tracteurs à Toulouse, Amiens ou encore Valence déposant des tonnes de fumier, des pneus et autres joyeusetés. La cruauté a même été atteinte à Nantes où ils ont jeté des ragondins vivants et morts aux portes de la préfecture. Ils exprimaient ainsi « leur ras-le-bol face aux contrôles et aux réglementations », dixit la FNSEA. C’est que ce Medef agricole qui a les deux pieds dans le même sabot libéral bouge pour… que rien ne bouge : des hectares de monocultures arrosées copieusement de pesticides pour produire, produire plus et produire encore plus ! Qu’importe les moyens et l’impact environnemental tant que tombent de l’arbre européen, les juteuses subventions de la PAC. Dans cette partie de Monopoly de la terre, il n’y a que les grands exploitants qui y retrouvent leur compte. Les petits galèrent, s’esquinte la santé – les maladies professionnelles sont une réalité dans l’agriculture – et, beaucoup, au bout du rouleau, mettent fin à leur jour. Rappelons, qu’en France, un agriculteur se suicide tous les deux jours !

Pour une agriculture républicaine !

La FNSEA ne représente que l’oligarchie des agriculteurs et méprise tout le reste. La preuve, c’est à son président, Xavier Beulin, que nous devons la formule des « djihadistes verts ». Il qualifie ainsi les opposants au barrage de Sivens dans le Tarn, où l’un des nôtres, Rémi Fraisse, est tombé sous les grenades des gendarmes. A l’image du Medef, la FNSEA n’argumente jamais et méprise à tout crin celles et ceux qui se mobilisent contre le modèle dominant. Sur France Inter, Sophia Aram a brillamment renvoyé Beulin dans les cordes le dépeignant tel qu’il est : bien loin de la réalité agricole d’une majorité d’exploitants qu’il dit pourtant représenter.

les_paysansL’agriculture est l’affaire de tous et pas seulement d’une caste autoproclamée où la sélection se fait, là aussi, par le portefeuille. « Chacun de nous est appelé, non pas à dire ce qu’il croit bon pour lui mais ce qu’il croit bon pour tous, et c’est pourquoi nous sommes en République, res publica, la chose commune », écrit Jean-Luc Mélenchon dans « La règle verte » *. Et l’agriculture qui conditionne notre alimentation, façonne notre territoire, impacte notre environnement est effectivement l’affaire de tous, ruraux comme urbains. Face à la libéralisation et au marché où les prix, souvent chers, ne profitent pas aux producteurs, il faut revoir complètement notre système agricole. Mélenchon apporte des pistes au chapitre « Agriculture : la souveraineté alimentaire » : « l’organisation et la planification sont la clé du futur, surtout dans le domaine agricole. Quelle va être notre porte d’entrée ? ça va évidemment être, à mon avis (…) la souveraineté alimentaire. »

Aménagement du territoire, emploi, santé publique : l’agriculture concentre tout un tas de problématiques que nous ne pouvons laisser aux mains d’une corporation. Cette « chose commune », c’est à la République de la prendre en charge en collaboration avec les professionnels du secteur. « Il faut donc répondre à la question concrète », poursuit Mélenchon : « si vous voulez des productions de qualité, il faut des gens. Je ne dis pas que tout doit passer par les bras, mais il faut des gens, voilà. Il faut donc les former. » Inexorablement, tout est lié.

La solution ? La coopération !

L’alternative au modèle productiviste n’attend pas les politiques pour se mettre en place. panier de légumes dans un potagerPour preuve, le développement des Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) où un groupe de citadins s’engage financièrement sur la prochaine récolte d’un paysan qui leur livre un panier hebdomadaire à un prix fixé en collaboration. La coopération se fait aussi entre professionnels. Ainsi, à Clapiers, à côté de Montpellier, Terracoopa mutualise les moyens. Cette coopérative d’activités de l’agriculture biologique et des métiers de l’environnement propose un modèle singulier : permettre à des personnes voulant se lancer dans l’agriculture raisonnée ou biologique.

Pour Joseph Le Blanc, gérant de Terracoopa, et par ailleurs fils d’agriculteur, « la coopérative est un modèle précieux qui permet un cadre juridique où les porteurs de projets conservent leurs avantages sociaux, où la gestion comptable et administrative est prise en charge et où un accompagnement individuel est proposé à chacun. » Nous sommes bien loin des canons de la FNSEA. L’avenir, c’est l’agriculture paysanne ! Mélenchon propose des choses claires sur le sujet : « un : limitation des exploitations. Deux : contrôle. » Vous savez ces contrôles qui entraveraient la liberté des agriculteurs de la FNSEA. Mais il va plus loin : « Et là, j’ajoute : confiscation de toutes les plus-values qui sont réalisées  quand la terre agricole change d’affectation et qu’elle devient une terre urbaine, une terre à construire. » On ne spécule pas avec la terre !

Du rail ou des légumes ?

A Montpellier, un projet entre dans cette problématique : la nouvelle gare TGV située à La Mogère. Cette infrastructure n’a qu’un objectif : être le fer de lance d’un nouveau quartier où trônera un centre d’affaires, ce qui ne correspond en rien aux problématiques des Montpelliérain-es. Notre ville, c’est 25% de taux de pauvreté, un salaire médian à 1 300 euros par mois, soit 300 euros de moins que le salaire médian national. Une gare et un centre d’affaires ne résoudront rien. Par contre, les terres agricoles sur lesquelles la gare est prévue peuvent être très utiles.

Train Legumes

« N’a-t-on pas mieux à faire sur ces terrains de la Mogère ? Un des enjeux locaux est de maintenir la ceinture verte de Montpellier. Ne peut-on pas alors immobiliser ces terres pour une activité agricole raisonnée qui constituerait un volant d’entraînement pour l’économie locale ? Cette vision écosocialiste du développement de la ville réconcilierait ainsi cadre de vie, environnement et vie économique », avons-nous déjà écrit. Une production locale distribuée en circuit-court maintenant ainsi les coût pour une alimentation de qualité serait plus adéquate à la situation montpelliéraine. Encore une fois, tout est lié !

La sauce américaine

Mais toutes ces alternatives au modèle productiviste pourraient être balayées d’un trait de plume si jamais l’Europe venait à signer le Grand marché transatlantique (GMT). Ce projet qui créerait un marché unique entre l’Europe et Les Etats-Unis plane comme un oiseau de mauvais augure sur notre système européen (social, environnemental, culturel, agricole). La souveraineté alimentaire serait un vœux pieux, l’agriculture paysanne n’existerait que dans la mémoire de nos aïeux et tout ce qui fait la spécificité de nos produits (appellation d’origine contrôlée, appellation d’origine protégée) n’aurait plus court.

Le blog La ruche qui dit oui a consacré un article sur le sujet où l’on comprend que les conséquences du GMT (TAFTA en anglais) seront radicales : « En faisant entrer massivement des denrées agricoles, seules les exploitations européennes les plus grandes et les plus solides pourront continuer à exister. Aujourd’hui déjà, les éleveurs ont tendance à agrandir leur ferme pour tenir le cap et excluent ainsi les jeunes repreneurs (faute de moyens suffisants). On va vers une mort lente mais certaine des campagnes », assure Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne.

Pour Aurélie Trouvé, maître de conférences en économie et politiques agricoles, « la concurrence accrue risque d’aboutir à la contraction des coûts de production exigeant d’affaiblir les standards environnementaux, alimentaires, sociaux. Elle pourrait mener à une concentration des exploitations et une spécialisation des régions ainsi qu’une réduction des emplois agricoles. Les perspectives de promotion des circuits courts, de la relocalisation des activités agricoles et de l’agriculture paysanne seraient considérablement menacées. »

On le comprend, notre assiette est le point névralgique de toute une civilisation. A nous de continuer de semer les graines de la contestation et de mettre, partout où cela est possible, un cheveu écolo dans la soupe libérale !

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* sauf mention contraire, les citations de J-L Mélenchon sont tirées de « La règle verte ».

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